Les textes de Loïc Jugue

Les broken toys objets/sculptures

Depuis longtemps (les années 80), je travaille sur la thématique de la destruction d'objets, du moment précis où l'objet passe d'objet utile à objet inutile. Transformation que je mémorise au moyen de la vidéo, de la photo et maintenant de la sculpture.

J'ai utilisé des moyens très variés pour détruire ces objets : destructions par le feu, la chute, le micro-ondes et aussi avec des outils très divers et souvent menaçants, scie circulaire , tronçonneuse, perceuse, lance-flamme, etc.

J'ai toujours été fasciné par ce processus de disparition des choses (Peut-être parce que petit, j'ai vu ma chaise d'enfant brûler...), par ce monde d' objets qui nous entoure et qui devient de fait notre réalité, la preuve de notre existence, de nos souvenirs, et qui est pourtant si fragile. Une petite chute ... un petit incendie... une petite catastrophe et puis plus rien...

L'entropie, qu'elle soit programmée ou non, règne partout. Dans mon travail je ne fais juste que l’accélérer et la mémoriser pour en faire une oeuvre d'art. A la mort de mes parents, j'ai récupéré mes vieux jouets, compagnons de mon enfance aux rôles multiples: consolateur, confident, martyr ou souffre-douleur. Plutôt que de les voir partir à la benne ou dans une poubelle quelconque, j'ai décidé de les détruire moi-même et d'en faire un travail artistique que j'ai appelé : Les Broken toys.

En poursuivant cette démarche, j'ai proposé à d'autres personnes de me donner leurs vieux jouets et plutôt qu'ils ne disparaissent dans l'oubli, de les transformer en une oeuvre... Étrange ironie, détruire pour mieux sauvegarder, Il y aurait comme une réminiscence du Pavillon d'or de Mishima...

J'ai donc filmé avec fascination ce processus de destruction des jouets, de nos souvenirs, de nous en quelque sorte. Ce qui m'a frappé surtout dans ces tournages/performances, était d'observer la résistance de ces jouets (ne sont-ils pas censés résister aux enfants ?) face aux agressions que je leur ai faites subir. Étonnant de voir une grosse scie circulaire bloquée par un simple lapin en peluche... les mèches de perceuses cassées par des poupées... un père Noël faisant de la résistance face à une tronçonneuse...

J'ai prolongé ce travail vidéo et photographique, en faisant ce que j'appelle des objets sculptures à partir de jouets que je casse, transforme de différentes façons, souvent en les brûlant, en les faisant fondre, les clouant, vissant, perçant, etc...

Ces fétiches contemporains sont en même temps ludiques, sarcastiques et un rien dérangeants, ces jouets abîmés détournés de leur fonction normalisatrice, nous questionnent sur nous, sur notre rapport au monde. Ils nous renvoient une image trouble de nous. Sommes-nous ces jouets, torturés et détruits par un monde qui nous échappe? Sommes-nous ceux qui les ont cassés... torturés? Ou bien les deux à la fois?
« Je suis la plaie et le couteau... » disait Baudelaire.

Ces poupées que j'ai récupérées, souvent abandonnées, délaissées, sont d'une certaine beauté... brute... Elles sont pour moi de véritables petites sculptures. Et c'est comme ça que je les ai traitées... comme des sculptures, sortes de petits fétiches contemporains que je mets en scène... que je détourne de leur fonction première...
Finalement, je fais du détournement de poupées...

Loïc Jugue 2021